Il y a des soirs où l’on n’a pas envie de cuisiner, mais où l’on a quand même envie de bien manger. Dans ces moments-là, un bon fromage, un bon vin et c’est tout un dîner qui se dessine. Seul problème : comment éviter le classique plateau improvisé qui finit en déception parce que le camembert et le rouge tannique se font la guerre en bouche ?
La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’être sommelier ni fromager pour réussir des accords vin et fromage à la maison. Avec quelques méthodes simples et quelques repères, vous pouvez créer des mariages harmonieux, surprendre vos invités… ou simplement vous régaler à deux, un mardi soir.
Deux grandes approches pour accorder vin et fromage
Avant de choisir les bouteilles, il est utile de savoir dans quel esprit vous voulez composer votre plateau. Deux logiques fonctionnent particulièrement bien : les accords de contraste et les accords d’harmonie.
Accord d’harmonie : on cherche la continuité. Un fromage doux, un vin doux ; un fromage puissant, un vin avec du caractère. L’idée est de prolonger les mêmes sensations sans créer de choc.
Accord de contraste : on joue sur l’opposition : le salé contre le sucré, le gras contre l’acide, la puissance contre la fraîcheur. C’est le principe du roquefort avec un Sauternes, par exemple.
Pour composer facilement à la maison, alterner ces deux approches sur un même plateau est souvent très efficace : un ou deux accords “confortables”, un ou deux plus audacieux, et tout le monde est content.
La règle d’or : respecter la force du fromage
Si vous ne deviez retenir qu’un seul principe, ce serait celui-ci : adapter la puissance du vin à la force du fromage.
Un vin trop léger face à un fromage très puissant disparaîtra totalement. À l’inverse, un vin très tannique ou très boisé peut écraser un fromage délicat.
En pratique, demandez-vous :
- Le fromage est-il plutôt doux, moyen ou très puissant en goût ?
- Sa texture est-elle très crémeuse, fondante, friable, ferme ?
Plus le fromage est puissant et sec, plus vous pouvez aller vers des vins affirmés. Plus il est crémeux et délicat, plus il a besoin de fraîcheur, de finesse, parfois même de bulles.
Accorder les grandes familles de fromages sans se tromper
Pour faciliter les choix, partons des grandes familles de fromages. Vous n’aurez pas besoin de retenir des dizaines de couples compliqués : quelques repères suffisent pour improviser avec ce que vous avez sous la main.
Fromages de chèvre : fraîcheur, minéralité et… Loire
Les fromages de chèvre adorent les vins blancs, surtout lorsqu’ils sont vifs et légèrement aromatiques. Les rouges puissants sont à éviter : les tanins ont tendance à durcir l’amertume naturelle du chèvre.
Méthode simple : pensez “chèvre = blanc de Loire”.
- Exemples classiques : Crottin de Chavignol avec Sancerre blanc, Valençay avec un Quincy ou un Reuilly, Sainte-Maure de Touraine avec un Touraine Sauvignon.
- Si vous n’avez pas de Loire sous la main : un Chardonnay non boisé, un Riesling sec ou un blanc du Sud-Ouest (Pacherenc, Côtes de Gascogne) feront très bien l’affaire.
- Accord de contraste à tester : un chèvre un peu affiné avec un pétillant brut (Crémant de Loire, Champagne blanc de blancs) pour jouer sur la fraîcheur et les bulles contre le gras.
Fromages à pâte molle à croûte fleurie : champagnes, blancs souples et rouges légers
Brie, camembert, coulommiers, brillat-savarin… ces fromages sont crémeux, parfois coulants, avec une croûte blanche et un goût plus subtil qu’on ne le pense. C’est ici que beaucoup de bouteilles de rouge trop tanniques se cassent les dents.
Problème fréquent : un Bordeaux jeune et corsé avec un camembert : les tanins se durcissent, le fromage devient amer, le fruit disparaît. Tout le monde perd.
Pour mettre tout le monde d’accord :
- Champagne ou crémant brut : les bulles et l’acidité nettoient le gras du fromage, rendent l’ensemble digeste et très gourmand.
- Blancs ronds et souples : un Bourgogne blanc peu boisé, un Chenin sec du Val de Loire (Saumur, Montlouis) ou un Macon-Villages fonctionnent très bien.
- Rouges légers et peu tanniques : Beaujolais (Fleurie, Chiroubles), Pinot noir d’Alsace ou de Bourgogne, certains vins du Jura.
Anecdote maison : un camembert bien fait avec un Champagne blanc de noirs peut devenir le centre du repas. On se retrouve à délaisser tout le reste du plateau pour ce duo-là, tant il fonctionne.
Fromages à pâte pressée cuite : quand les vins jaunes et les blancs de montagne brillent
Comté, Beaufort, Abondance, Emmental, Gruyère… ces fromages, souvent affinés, ont une palette aromatique impressionnante : fruits secs, noisette, beurre, bouillon… Ils appellent des vins à leur mesure.
Accord d’harmonie parfait : Comté et vin jaune du Jura. Le vin jaune développe des arômes de noix, curry, épices, qui font écho aux notes complexes d’un Comté bien affiné. C’est un mariage presque didactique.
Mais sans vin jaune, vous avez encore beaucoup d’options :
- Blancs du Jura : Savagnin ou Chardonnay ouillés, avec une belle tension.
- Vins de Savoie : roussette, apremont, chignin-bergeron, selon l’intensité du fromage.
- Chardonnays de Bourgogne : surtout ceux avec un léger élevage en fût, qui dialoguent bien avec la dimension beurrée et noisettée.
- Rouges délicats : certains Comté peu affinés peuvent aussi apprécier un pinot noir fin.
Astuce simple : plus le fromage est affiné (18, 24, 30 mois), plus vous pouvez aller vers des vins complexes et évolués. Un vieux Comté avec un vieux vin jaune ou un grand Bourgogne blanc devient un moment à part entière.
Fromages à pâte pressée non cuite : la patrie des rouges souples
Cantal, Salers, Saint-Nectaire, Tomme de Savoie, Ossau-Iraty, Laguiole… Ces fromages ont une texture plus ferme, un goût franc mais pas trop agressif. Ils s’entendent souvent très bien avec des rouges souples, parfois légèrement épicés.
- Vins du Sud-Ouest : Marcillac, Gaillac rouge, Côtes-du-Rhône peu tanniques, qui apportent du fruit et un peu d’épice.
- Rouges du Massif central et du Sud : Cahors assagi, Côtes d’Auvergne, vins du Languedoc en version légère.
- Accord charmeur : Ossau-Iraty avec un vin d’Irouléguy rouge ou un Madiran assagi (tanins fondus).
Variante : les pâtes pressées non cuites se marient aussi très bien avec des blancs un peu gras (Sud-Ouest, Rhône blanc) pour un accord plus moelleux, moins “rustique”.
Bleus et pâtes persillées : le royaume des vins doux et liquoreux
Roquefort, Bleu d’Auvergne, Fourme d’Ambert, Gorgonzola… Le sel et la puissance aromatique de ces fromages en font des candidats idéaux pour les vins doux.
Pourquoi ça marche si bien ? Le sel du fromage renforce la sensation de douceur du vin, tandis que le sucre du vin adoucit la morsure du bleu. On obtient un équilibre sucré-salé irrésistible.
- Accord emblématique : Roquefort et Sauternes ou Monbazillac.
- Alternatives : vins doux naturels (Maury, Banyuls, Rivesaltes), Vendanges tardives (gewurztraminer, pinot gris), certains moelleux de Loire (Coteaux du Layon, Vouvray moelleux).
- Version plus douce : une Fourme d’Ambert avec un Coteaux du Layon est souvent plus accessible qu’un Roquefort-Sauternes.
À éviter : les rouges tanniques, qui deviennent rapidement agressifs avec le sel des bleus.
Fromages à croûte lavée : osez les blancs puissants (et quelques rouges)
Munster, Époisses, Maroilles, Livarot, Langres… Ces fromages “qui sentent fort” peuvent impressionner, mais ils sont souvent plus doux en bouche que ce que leur nez laisse penser.
Ici, les blancs ont une carte à jouer, à condition d’avoir de la personnalité :
- Blancs aromatiques : gewurztraminer (souvent en version demi-sec), pinot gris riche, parfois un riesling avec un peu de sucres résiduels.
- Vins d’Alsace en général : ce sont des compagnons naturels du munster.
- Rouges : certains rouges peu tanniques mais aromatiques peuvent fonctionner, mais ce sont les blancs qui dominent la partie.
Astuce : si l’odeur vous fait hésiter, servez ces fromages en fin de plateau, avec un vin aromatique que vous aimez déjà seul. Un munster fermier avec un gewurztraminer légèrement moelleux peut réconcilier beaucoup de monde avec cette famille.
Faut-il vraiment du rouge avec le fromage ?
La scène est classique : fin de repas, on sort le fromage, on ressert le rouge. Pourtant, du point de vue des accords, le rouge n’est pas toujours le meilleur ami du fromage.
Pourquoi ça coince souvent ?
- Les tanins des rouges peuvent durcir et accentuer l’amertume de certains fromages.
- Le gras du fromage peut écraser le fruit du vin.
- Les rouges boisés se chamaillent avec les croûtes fleuries et lavées.
Les rouges qui fonctionnent bien :
- Rouges légers, peu tanniques, fruités : Beaujolais, pinots noirs peu extraits.
- Rouges du Sud ouest assagis, avec des tanins fondus.
- Rouges de Loire (Saumur-Champigny, Bourgueil) sur des pâtes pressées non cuites.
Une règle pratique : si vous tenez absolument à garder un rouge sur le fromage, choisissez des fromages qui l’aiment : tommes, Saint-Nectaire, Cantal, Ossau-Iraty, certains bleus doux. Évitez de l’imposer aux chèvres frais, aux camemberts encore jeunes ou aux croûtes lavées.
Comment composer un plateau cohérent avec 2 ou 3 vins
À la maison, vous n’allez pas ouvrir 6 bouteilles pour 5 fromages. L’enjeu est donc de construire un plateau compatible avec peu de vins. Voici une méthode simple.
Étape 1 : choisissez le nombre de fromages. Trois à cinq fromages suffisent largement pour un repas convivial.
Étape 2 : adoptez une ligne directrice.
- Soit “un vin pour (presque) tout le monde” : par exemple un bon blanc sec, ample mais tendu (Loire, Bourgogne), et vous choisissez des fromages qui s’accordent bien avec lui (chèvres, pâtes pressées, pâte molle à croûte fleurie).
- Soit “deux vins complémentaires” : un blanc vif (pour chèvres, pâtes molles) + un rouge souple (pour pâtes pressées non cuites) ou un liquoreux (pour un bleu en fin de plateau).
Exemple concret avec deux vins :
- Vin n°1 : Sancerre blanc.
- Vin n°2 : Beaujolais fruité.
- Plateau :
- Chèvre (crottin ou Sainte-Maure) – avec Sancerre.
- Brie ou camembert peu fait – plutôt avec Sancerre.
- Saint-Nectaire ou tomme – plutôt avec Beaujolais.
- Comté 12 mois – qui peut aller avec les deux vins selon les goûts.
Avec seulement deux bouteilles, vous couvrez déjà un joli spectre d’accords et de styles.
Température, service et petits détails qui changent tout
Quelques ajustements simples peuvent transformer un bon accord en très beau moment.
- Sortez les fromages à l’avance : au moins 30 à 45 minutes avant de les servir, pour qu’ils reviennent à température ambiante et expriment mieux leurs arômes.
- Ne servez pas les vins trop froids : un blanc de gastronomie se déguste plutôt autour de 10–12 °C qu’à 6–7 °C. Un rouge léger pour le fromage gagne à être légèrement rafraîchi (15–16 °C).
- Proposez du pain neutre : une bonne baguette ou un pain de campagne sera plus polyvalent qu’un pain très parfumé qui écrase les accords.
- Évitez les excès d’ail ou d’oignon : dans les pains ou accompagnements, difficiles à gérer avec le vin.
- Servez de petites portions : l’idée n’est pas de tout finir, mais de goûter plusieurs alliances.
Oser expérimenter : ajuster selon vos goûts
Les règles que nous venons de passer en revue ne sont pas des dogmes, mais des raccourcis basés sur l’expérience. La vraie question, au final, reste : qu’est-ce qui vous fait plaisir ?
Si vous adorez un certain rouge avec votre camembert, même si ce n’est pas “académique”, continuez. L’intérêt de ces méthodes simples est de vous éviter les gros pièges, de vous donner des bases pour improviser. Ensuite, à vous d’ajuster, d’essayer, de noter ce qui marche dans votre propre contexte.
La prochaine fois que vous préparez un plateau, au lieu de sortir simplement “un fromage et le reste de la bouteille du plat principal”, prenez deux minutes pour réfléchir : quelle famille de fromages ? Quel type de vin vous avez déjà à la maison ? Plutôt harmonie ou contraste ? En partant de là, vos soirées “vin et fromage” risquent vite de devenir un rendez-vous attendu… autant que le plat principal.
